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Un homme nouveau
Un article écrit par Alain LEDAIN
« Le monde est plein d'idées chrétiennes devenues folles. » G. K. Chesterton
« Les idées sont comme les jolies filles : elles peuvent aussi mal tourner. » Georges BernanosIntroduction
L’homme du XXIème siècle est un homme fatigué… fatigué de lui-même, fatigué de l’Histoire, fatigué de son Histoire : celle du siècle précédent notamment, avec les guerres les plus meurtrières que l’humanité n’a jamais connue auparavant, ses camps de concentration, ses camps du goulag[1], ses génocides[2], et ses totalitarismes idéologiques (le nazisme et le communisme entre autres). Celle aussi de la colonisation, de l’esclavage, des servitudes et des dominations de toutes sortes.
L’homme du XXIème siècle a honte de lui ; plus rien ne le surprend sur la nature humaine[3]. Il éprouve des remords, de la tristesse – non la tristesse qui mène à la vie, non la tristesse le poussant à se réconcilier avec Son Créateur et conséquemment avec lui-même –, mais une tristesse mortifère : L’homme se hait tel qu’il est à cause de ses fautes, de son péché. Ce désamour, ce désenchantement de l’homme le pousse à vouloir se réinventer, se régénérer, à devenir son propre créateur.
D’où le constructivisme.
D’où les idéologies issues des études sur le genre qui, dans leur forme extrême, dénient le corps, la réalité anatomique de la différence homme/femme, la matérialité biologique, le sexe. Le sexe, donné de la nature, est substitué au genre qui est une construction sociale, sexe et genre ne correspondant pas nécessairement.
D’où le transhumanisme (ou posthumanisme) qui revendique pour l’homme la liberté de remodeler sa propre espèce[4] par les technologies les plus prometteuses : nanotechnologies, biotechnologies, informatiques et sciences cognitives ; ce qui aurait pour conséquence l’envahissement de la technique et son enchevêtrement avec l’humain.
D’où, en résumé, cette idée de l’homme nouveau, une idée – nous y reviendrons – empruntée à la Bible. Les idéologues de notre temps ne préconisent malheureusement pas la mise en œuvre de la pensée de Dieu…
Flash-back historique car l’homme nouveau n’est pas une intention récente.
C’est un concept développé au XIXème siècle et repris notamment par des régimes totalitaires du XXème siècle. Il faut ici définir le totalitarisme, puis expliquer les contours de la pensée totalitaire.
Totalitarisme signifie étymologiquement « système tendant à la totalité, à l'unité ». Il ne s'agit pas seulement de contrôler l'activité des hommes, comme le ferait une dictature classique : un régime totalitaire tente de s'immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l'adhésion à une idéologie[5a] obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté.[5] Ils ne doivent pas connaître une autre religion que la parole du parti.
Au-delà de leurs divergences, les trois grands totalitarismes du XXème siècle (nazisme, communisme et fascisme) ont tendu vers un même but : former un « Homme nouveau » selon une idéologie imposée par le chef unique et son parti.
L’éducation des enfants fut « un domaine de prédilection pour les propagandistes d'une idéologie totalitaire cherchant à forger un « homme nouveau ». » Les moyens privilégiés furent la jeunesse et le sport par l’embrigadement obligatoire dans les Jeunesses communistes en URSS, les Jeunesses hitlériennes en Allemagne, les Enfants de la Louve dès 8 ans en Italie.[6]
Et aujourd’hui ?
Dans un article publié par LEXPRESS.fr le 2 septembre 2012[7], on apprend la volonté de l’actuel ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, « d’arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».
Par ailleurs, dans son livre titré « La révolution française n’est pas terminée », il explique que c’est à l’école qu’il revient de briser le cercle des déterminismes, « d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle ; l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines [les déterminismes cités ci-dessus], va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. (p. 17) ».
M. Peillon ajoute que ce qui manque à la République, c’est une religion nouvelle donc « un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte » (p.149). « La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. » (p.162)
Dans sa biographie de Ferdinand Buisson[8], il précise à propos de cette foi laïque que « toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise. Non pas seulement l’Eglise catholique, mais toute Eglise et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Eglise, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques. »
(Je reprends ici une partie du texte des Veilleurs des Ardennes)
Les idées de Vincent Peillon ne sont pas nouvelles…
Léopold BOURDON (1754-1807) est un pédagogue de l’époque révolutionnaire, un athée farouche et un « dévot des mascarades anti-chrétiennes ». Fin mai 1790, il présente un mémoire sur la nécessité de former une école d’expérience pour la partie morale de l’éducation publique. Robespierre lui reprochera de « s’emparer de l’éducation des enfants de la patrie ».
Xavier Martin, Professeur émérite à l’université d’Angers, décrit l’état d’esprit qui règne alors[9] : « L’éducation est trop sérieuse, trop divine pour qu’on la laisse aux père et mère, quel que soit d’ailleurs leur niveau social… » Selon L. BOURDON, il s’agit de « couper jusque dans la racine les vices et les préjugés de la génération actuelle, et d’en former une entièrement neuve et digne d’une constitution républicaine. » D’où l’idée des maisons communes d’éducation, « un vaste tombeau… dans lequel tous les vices et les préjugés que les générations antiques ont transmis à la nôtre seront ensevelis à jamais ».
Inutile d’écrire que les orphelins constituaient de l’or en barre pour Léonard BOURDON…
Faut-il rappeler que pour Vincent Peillon, « La Révolution française n'est pas terminée » ?
A ce point, nous sommes doublement interpelés : en tant que citoyens et en tant que chrétiens.
Interpelés en tant que citoyens
Vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes » et désigner en premier le déterminisme familial, promouvoir la laïcité comme une religion, voilà qui agrège deux éléments caractéristiques des totalitarismes athées.
« Leurs évangiles ont fait de moi un non-croyant... La vie ne m'apprend rien... » écrivit le chanteur Daniel Balavoine. Tel pourrait être l'hymne de cette république spirituelle promue par Vincent Peillon. La laïcité en tant que religion d'état est inquiétante au regard de l'Histoire : On renoue les liens entre politique et religion[9b]. Tout citoyen doit y être attentif… Certaines pensées ont des relents totalitaires. Tous nos concitoyens ne le perçoivent pas, leur conscience ayant été anesthésiée.
Interpelés en tant que chrétiens
La puissance mystérieuse de la révolte contre Dieu est déjà à l'œuvre (2Th 2 : 7a)[10] et la foi en un Dieu transcendant est clairement rejetée.
Les enfants, nos enfants constituent un terrain spirituel de batailles. D’eux, les idéologues vont tenter d’en faire des hommes nouveaux en modelant leur esprit avec de bonnes intentions – les rendre libres et heureux – et de bons sentiments, du moins en apparence…
L’idéologue en pédagogie aimerait que l’enfant soit une table rase ; il aimerait s’en emparer pour pétrir son âme, le façonner telle une cire molle[11].
On est très loin des préconisations du livre des Proverbes donnant aux parents la mission d’éduquer leurs enfants :
« Instruis l'enfant selon la voie qu'il doit suivre ; Et quand il sera vieux, il ne s'en détournera pas. » (Pr 22 : 6)
« Ecoute, mon fils, l'instruction de ton père, Et ne rejette pas l'enseignement de ta mère… » (Pr 1 : 8)
Nous n’entendons pas envoyer les enfants à l’école pour déconstruire l’éducation apportée à la maison. Ils ne sont pas la propriété de l’Etat et les parents n'en sont pas de simples dépositaires. Ils ne sont pas non plus la propriété des parents mais ils leur sont confiés par le Créateur pour les amener à construire leur vie dans Sa dépendance et devenir des signes d’une création renouvelée.
Conclusion de cette première partie
L’homme, indigné d’être une créature confrontée à l’échec, excédé de sa finitude, exaspéré de ses imperfections aspire à un renouvellement. Il aimerait façonner l’homme nouveau mais seuls sont à sa portée les totalitarismes… violents comme ceux du XXème siècle ou insidieux comme celui qui se profile (celui d’un bonheur obligatoire défini par des élites).
La « sortie de crise » n’est pas dans les remords mais dans la repentance ; à la condition de comprendre ce que signifie la repentance et de ne pas la confondre avec les remords…
***
Les remords sont éprouvés par le fautif d’un acte honteux. Ils conduisent non seulement à ne pas vouloir se pardonner et à refuser tout pardon d’autrui – y compris de Dieu –, mais à éprouver des ressentiments contre soi-même et à vouloir s’auto-punir. Que l’on songe à Judas qui, après avoir trahi le Christ se pendit. (Mt 27 : 3-5)
Se repentir, c’est changer d’avis sur Dieu, se tourner vers Lui et recevoir Son pardon. La repentance implique un changement individuel de comportement. Elle doit se vivre individuellement car aucune structure ou amélioration sociale ne peut changer le cœur de l’homme ; elle peut, dans le meilleur des cas, en freiner les instincts.
Le Christ est venu afin que quiconque croie en lui se trouve pardonné, libéré de la honte et entre en relation avec Dieu le Père : C'est la bonne nouvelle apportée par l'Evangile.
Alors commence une vie nouvelle. Alors, par le Saint-Esprit, naissent des hommes nouveaux : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. » (2Co 5 : 17) Il le devient en naissant d’en haut (Jn 3 : 6-7) et nullement d’une décision ou d’une action humaine. Ses pensées, ses désirs, ses affections, sa mentalité changent quand il laisse Dieu le transformer, quand il revêt « l'homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité. » (Ep 4 : 24) Cet homme nouveau « se renouvelle pour être l'image de son Créateur… »[12]
Le Christ est, par excellence, l’homme nouveau, le nouvel Adam, le modèle et l’auteur d’une nouvelle humanité, une nouvelle humanité bien différente de celle promise par les intellectuels de ces derniers siècles.
[1] La première guerre mondiale : environ 9 millions de morts et environ 8 millions d'invalides.
La seconde guerre mondiale : entre 50 et 60 millions de morts, plusieurs millions de blessés, les camps de concentration dont Auschwitz), les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki.
Les camps du goulag en URSS (18 millions de personnes y passèrent sous Staline, d’après Anne Applebaum, historienne).
(Source : Wikipédia)[2] Les génocides (arméniens, rwandais). Un génocide est l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'un groupe ou d'une partie d'un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales.
[3] Phrase inspirée d’une chanson interprétée par Stéphane Eicher, « Déjeuner en paix » : Plus rien ne la surprend sur la nature humaine / C'est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets Déjeuner en paix, déjeuner en paix
[4] selon le technoprophète Raymond C. Kurzweil, informaticien américain et théoricien du transhumanisme.
Source : Livre « La Vie vivante Contre les nouveaux pudibonds » de Jean-Claude Guillebaud, © 2011 ed. les arènes (p. 124)
Pour mieux comprendre, voyez cette page des éditions M21 sur le livre de Ray Kurzweil "Humanité 2.0 : la bible du changement".
[5a] Selon Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, tome III, « Le Système totalitaire », chapitre 4, p.294 à 299 (édition Points-Essai), une « idéologie » n’est pas n’importe quelle idée, théorie ou philosophie. Il s’agit d’une conception qui prend ses distances avec le réel et qui cherche à le supplanter. L’« idéologie » relève de la « logique d’une idée » qui propose une vision mensongère plus satisfaisante parce que plus simple, plus schématique et, au final, moins déroutante que le réel et son caractère foisonnant, déstabilisant.
(Source de cette note : Les veilleurs des Ardennes)
[5] Source : Wikipedia
[6] Source : Article Larousse sur le totalitarisme disponible à l’adresse http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/totalitarisme/97872
[7] Source : article du site de l’Express daté du 2 septembre 2012 « Vincent Peillon pour l'enseignement de la "morale laïque" » http://www.lexpress.fr/actualite/politique/vincent-peillon-pour-l-enseignement-de-la-morale-laique_1155535.html
[8] Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Le Seuil, 2010.
[9] Tiré du livre « S’approprier l’homme – Un thème obsessionnel de la Révolution (1760-1800) », Editions Dominique Martin Morin © 2013
[9b] Là aussi, renouer les liens entre politique et religion n’est pas une idée nouvelle. Ainsi, selon Jean-Jacques Rousseau, « Ce fut dans ces circonstances que Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel : ce qui , séparant le système théologique du système politique, fit que l'état cessa d'être un , et causa les divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens […] De tous les auteurs chrétiens, le philosophe Hobbes est le seul qui ait bien vu le mal et le remède, qui ait osé proposer de réunir les deux têtes de l’aigle, et de tout ramener à l’unité politique, sans laquelle jamais État ni gouvernement ne sera bien constitué […] » (Du contrat social, Livre IV, chapitre VIII)
Avec Jacques Ellul, nous pouvons constater que le pouvoir politique se dresse en concurrent de Dieu. Dans son commentaire d’Apocalypse 13, Ellul écrit « habitants de la terre, c’est-à-dire liés aux choses de la terre, qualifiés par leur appartenance terrestre, ils ne trouvent d’eux-mêmes pas de plus haute divinité que l’État et mettent en lui leur espérance et leur foi. Or, cette puissance de l’État lui est donnée par le dragon : v.4 » (Ellul, L’Apocalypse, Architecture en mouvement, 1975d [Labor et Fides, 2008], p. 114)
[10] Je reproduis le texte de l’Ecriture duquel le verset cité est tiré (2Th 2 : 1-12) : « 1 Au sujet de la venue de notre Seigneur Jésus-Christ et notre rassemblement auprès de lui […] 3 Que personne ne vous égare d'aucune façon. Car ce jour n’arrivera pas avant qu'éclate le grand Rejet de Dieu, et qu'apparaisse l'homme de la révolte qui est destiné à la perdition, 4 l'adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de dieu, et de tout ce qui est l'objet d'une vénération religieuse. Il ira jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu en se proclamant lui-même dieu. 5 Je vous disais déjà cela lorsque j'étais encore chez vous : ne vous en souvenez-vous pas ? 6 Vous savez ce qui le retient pour l'instant afin qu'il ne paraisse que lorsque son heure sera venue. 7 Car la puissance mystérieuse de la révolte contre Dieu est déjà à l'œuvre ; mais il suffira que celui qui le retient jusqu'à présent soit écarté 8 pour qu'alors paraisse l'homme de la révolte. Le Seigneur Jésus le fera périr par le souffle de sa bouche, et le réduira à l'impuissance au moment même de sa venue. 9 L'apparition de cet homme se fera grâce à la puissance de Satan, avec toutes sortes d'actes extraordinaires, de miracles et de prodiges trompeurs. 10 Il usera de toutes les formes du mal pour tromper ceux qui se perdent, parce qu'ils sont restés fermés à l'amour de la vérité qui les aurait sauvés. 11 Voilà pourquoi Dieu leur envoie une puissance d'égarement pour qu'ils croient au mensonge. 12 Il agit ainsi pour que soient condamnés tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité et qui auront pris plaisir au mal. »
[11] Inspiré de la page 38 du livre « S’approprier l’homme – Un thème obsessionnel de la Révolution (1760-1800) » écrit par Xavier Martin, Editions Dominique Martin Morin © 2013
[12] selon Col 3 : 10, traduction du semeur
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