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La « morale laïque » ou l’Evangile selon saint Vincent
Dialogue entre le disciple et le candide.
Un texte des Veilleurs des Ardennes
Le candide : C’est quoi cette « morale laïque » qu’il faudra bientôt enseigner à nos enfants ?
Le Disciple a-discipliné de son Eminence Normale (DASEN): Selon la loi de refondation de l’école, tout enfant (y compris ceux bénéficiant d’une instruction privée hors contrat ou à domicile) a droit à l’instruction, à l’enseignement des « valeurs de la République » et de « l’esprit critique » (nouvel article L131-1-1). Le cours d’instruction civique disparaît et laisse place à « un enseignement moral et civique » chargé de faire « acquérir aux élèves le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de la laïcité » (nouvel article L311-4).
Le candide : Rien de révolutionnaire en somme, …
Le Disciple : Selon le Ministre, de larges pans de la jeunesse influencée par le fondamentalisme politique, identitaire et religieux, sexiste, raciste et homophobe doivent être re-civilisés et incorporés dans la société française. L’embauche de 60.000 enseignants supplémentaires, l’investissement massif dans le numérique et l’enseignement de la morale et des valeurs républicaines devraient permettre de juguler ces fléaux.
Le candide : C’est une vision assez pessimiste de la jeunesse ; mais admettons ce « réalisme ». Pourquoi cependant re-civiliser la jeunesse ; qu’est-ce qui l’aurait dé-civilisée ?
Le Disciple : La situation actuelle de la jeunesse ne serait pas due à l’échec de l’enseignement public, mais à celui des familles, en raison de leurs déterminismes sociaux, culturels et religieux. C’est pourquoi la scolarisation des enfants dès l’âge de 2 ans s’impose, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire à forte proportions d’enfants issus de l’immigration. Le Ministre a également décidé qu’une Charte de la laïcité devrait être jointe au règlement intérieur des établissements scolaires dès 2013. Définissant les principes de la laïcité, elle s’imposera aux enseignants et aux élèves. Sa rédaction a été confiée au Haut Conseil à l'intégration qui travaille à « faire barrage au communautarisme.» (1)
Le candide : Mais en quoi les familles seraient-elles fautives ? Ne sont-elles pas partenaire de l’enseignant ?
Le Disciple : Le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, relatif à l’école primaire, dit en effet que celle-ci doit assurer « conjointement avec la famille l'éducation morale et civique, qui comprend obligatoirement, pour permettre l'exercice de la citoyenneté, l'apprentissage des valeurs et symboles de la République et de l'Union Européenne, notamment de l'hymne national et de son histoire. » Cet enseignement moral et civique sera dispensé par les professeurs d'Histoire et de Sciences de la et Vie de la Terre dès la rentrée 2015, à raison d'une heure par semaine à l'école primaire et au collège (2). Il sera obligatoire, y compris dans les établissements privés sous contrat, et devra être noté.
Le candide : S’il y a travail « conjoint » entre les familles et les professeurs, il n’y a pas de problème alors ? Et pourquoi les professeurs d’Histoire et de SVT ?....
Le Disciple : Tout dépend ce que l’on entend par le terme « conjointement » cité ci-dessus. L’un des déterminismes dont il faudrait émanciper les enfants est l’identité de genre. Dans son livre-programme Refondons l’école publié en février 2013, M. Peillon annonce que la « lutte contre les stéréotypes de genre et l’homophobie doit être menée avec force, à tous les niveaux d’enseignement. Les stéréotypes de genre doivent être remis en question dès l’école primaire » (p.128). La culture familiale, ancestrale, traditionnelle, religieuse serait coupable de transmettre des préjugés sexistes de séparation entre le féminin et le masculin. L’école doit déconstruire cela. S’adressant aux recteurs d’académie, M. Peillon indiquait en janvier dernier que « le gouvernement s'est engagé à s'appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités, notamment par le biais d'une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles » (3).
Les professeurs d’Histoire d’une part et ceux de Science de la Vie et de la Terre d’autre part seraient les plus à même de déconstruire ces préjugés historico-biologiques…
Le candide : L’Etat s’invite assez largement dans le cercle familial. Il semble même qu’il ait la priorité sur la famille…Quant à la construction de soi et de l’identité personnelle et sexuelle, s’il est important de rappeler le respect de toute situation personnelle, familiale ou affective, cela doit-il devenir le contenu d’une morale objective et intrusive à enseigner dès l’école primaire ?
Le Disciple : « Arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel »(5), voilà ce que veut faire le Ministre. « Le but de l’école républicaine a toujours été de produire un individu libre »(6). Les cultures familiale, sociale ou religieuse sont clairement suspectées et considérées comme égarantes pour l’enfant.
Le candide : Et la neutralité de l’Etat dans tout ça ?
Le Disciple : Dans Refondons l’école, M. Peillon explique que « L’école républicaine n’a jamais prétendu être neutre entre toutes les valeurs. Si la laïcité a bien signifié la neutralité confessionnelle [...], elle n’a jamais signifié ni la neutralité philosophique ni la neutralité politique » (p. 134).
Le candide : Que l’Ecole apprenne des contenus d’enseignement, mathématique, historique, etc., soit ; mais doit-elle dicter jusqu’au comportement éthique des personnes ? N’y a-t-il pas là une volonté d’emprise totale sur les individus ?
Le Disciple : C’est à l’école qu’il revient de briser le cercle des déterminismes, « de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines [les déterminismes cités ci-dessus], va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. La société républicaine et laïque n’a pas d’autre choix que de « s’enseigner elle-même » d’être un recommencement perpétuel de la République en chaque républicain, un engendrement continu de chaque citoyen en chaque enfant, une révolution pacifique mais permanente (p. 17.) (7) ». M. Peillon ajoute que ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle « Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte (…) afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne.» (p.149). « La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. » (p.162) « C’est au socialisme qu’il va revenir d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin, en étant à la fois une révolution morale et une révolution matérielle, et en mettant la seconde au service de la première. » (p.195)…
Le candide : Eh beh ! Il va falloir maintenant expliquer aux musulmans qu’ils devront abandonner leur religion ! Quant à toutes les traditions, elles seront déclarées obsolètes : il faudra soit y renoncer, soit les vivre cacher ! Ne parlons même pas de la famille qui semble devenir « l’ennemi objectif » (8) de l’idéologie nouvelle qui se dessine…C’est pas un peu totalitaire comme vision ?...
Le Disciple : Dans sa biographie de Ferdinand Buisson (9), il précise à propos de cette foi laïque que « toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise. Non pas seulement l’Eglise catholique, mais toute Eglise et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Eglise, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques. »
Le candide : Tout un programme !...Mais ne sont-ce pas là que des paroles ?...
Le Disciple : Même si l’enseignement moral et civique n’a pas encore de contenu précis (10), celui-ci s’appuie sur un sous-bassement idéologique qu’il faut prendre au sérieux. L’enseignement public et privé y seront soumis. L’enseignement privé se verra quant à lui tiraillé entre la possibilité de l’enseignement d’une culture religieuse d’une part et la nécessité d’enseigner une morale laïque (c’est-à-dire antireligieuse) d’autre part. Les familles elles-mêmes se verront contester leur droit naturel d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants « conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », droit garanti notamment par la Convention européenne des droits de l’Homme…Les paroles, comme vous dites, sont présentes dans les ouvrages cités en note ci-dessous : vous pourrez vérifier !
Le candide : Pourra-t-on s’opposer ouvertement à un contenu moral d’enseignement imposé ?
Le Disciple: Son enseignement sera obligatoire pour tous, de la primaire à la Terminale, et les enfants seront notés .
Le candide : Si j’ai bien compris, soit je m’informe, soit je finis formaté…
Le Disciple : ça, c’est vous qui voyez !!
(1) http://religion.blog.lemonde.fr/2012/12/10/laicite-les-petits-pas-de-francois-hollande/
(2) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/04/22/01016-20130422ARTFIG00402-la-morale-laique-sur-les-bancs-de-l-ecole-attendra-2015.php
(3) Lettre de Vincent Peillon, Ministre de l’Eduction nationale, aux recteurs, datée du 4 janvier 2013.
(5) Voir LEXPRESS.fr, du 02/09/2012, Vincent Peillon pour l'enseignement de la "morale laïque".
(6) Assemblée nationale, compte-rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 14 mars 2013.
(7) La Révolution n’est pas terminée, Seuil, 2008, p .17.
(8) Cf les analyses de Hannah Arendt sur la nécessité de la désignation d’un « ennemi objectif » dans les régimes totalitaires, in Les Origines du totalitarisme, tome III : « Le Système totalitaire ».
(9) Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Le Seuil, 2010.
(10) Le détail du contenu sera défini par le nouveau « conseil national des programmes ». Il pourra s’appuyer sur le rapport remis par l'historien Alain Bergounioux ( historien du socialisme et du syndicalisme), le conseiller d'État Rémi Schwartz (rapporteur général de la commission Stasi sur la laïcité en 2003), et l'universitaire Laurence Loeffel (spécialiste de la morale laïque et de Ferdinand Buisson) à qui le Ministre a demandé de se prononcer sur les conditions d'enseignement de cette morale laïque, de la maternelle à la terminale, ainsi que sur son évaluation.
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Commentaires
Bonjour !
Excellent ! De même que les autres articles sur "l'homme nouveau", définissable comme un "homme sans héritage et sans appartenance, apatride et asexué."
Effectivement, l'enjeu soulevé par la réforme du ministre(avec le "tout numérique", qui nous rappelle-si l'on s'en doutait-que la technique n'est jamais neutre) reste la question de la transmission.
Bonne continuation et que le Seigneur vous conduise dans ce ministère de sensibilisation à "l'éthique sociale chrétienne" !
Fraternellement,
"Pep's"
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Alain, si tu me permets d'ouvrir un commentaire. J'espère que je ne suis pas le seul à penser que cette foi laïque est une foi antéchrist... bien, qu'il me semble, que je sois le seul à le commenter de la sorte, je reste dans mon opinion. J'ai eu un haut le cœur en lisant cette partie: « toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise. Non pas seulement l’Eglise catholique, mais toute Eglise et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Eglise, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques. » Bien que le contenu d'une telle 'discipline' ne soit pas nettement défini, comme tu le dis, il me semble que tout cela passerait comme une lettre à la poste tellement les manoeuvres idéologiques de ces 'lobbys' (pour ne pas dire 'maîtres') ont déjà commencées à être semées dans la conscience collective, car je constate que, pour leur malheur, plusieurs sont déjà gagnés à cette cause et se rendent volontairement ou involontairement disciples d'âmes et de cœurs. Et là, sans vouloir généraliser, je pense quand même aux journalistes et aux médias, aux enseignants et aux différents corps de métier de la communication, aux politiciens et aux politiques actuelles... C'est là que j'aimerais m'écrier, en ajoutant un "Ahhh!" qui viendrait d'un sentiment mélangé entre l'envie de témoigner 'mieux' par la grâce de Dieu et aussi entre le désir que tout arrive à son terme: "Maranatha, Viens Seigneur Viens!"