• Rendons une enfance aux enfants

    Un article de Jérôme BRUNET, Président de l'Appel des professionnels de l'enfance
    Cet article peut être retrouvé à l'adresse :
    http://appeldespros.wordpress.com/2013/10/17/redonnons-une-enfance-aux-enfants/

    Il y a quelques jours, j'avais au téléphone un médecin responsable de la médecine scolaire d'un département. Il me faisait part de son désarroi devant le nombre croissant de signalements de jeunes enfants qui n'arrivent pas à s'adapter à l'école, et ce dès la maternelle.

    Depuis plusieurs années, les enseignants se plaignent de devoir faire de plus en plus d'éducatif en classe, parce que les bases élémentaires de l'éducation ne sont plus données aux enfants.

    Ils ont déjà tant à faire avec les réformes successives de l'école...

    Au cours de ma carrière professionnelle, j'ai vu évoluer les psychologues qui accompagnent les enfants. Aujourd'hui, je n'en connais pas un qui ne reconnaisse la souffrance psychologique d'enfants qui sont en manque de repères familiaux.

    Les structures sociales d'accueil des jeunes sont saturées, débordées.

    Depuis une vingtaine d'années, le gouvernement considère l'augmentation du suicide des jeunes comme un fléau national. On en parle très peu dans les medias, parce qu'on ne veut pas montrer notre impuissance face à ce phénomène. Il y a quelques années, j'apprenais qu'un enfant de 12 ans s'était donné la mort par pendaison. C'est inouï!

    On peut à l'infini développer le soutien aux enfants, refaire les programmes scolaires, déployer des équipes de psychologues, d'orthophonistes, de pédopsychiatres, d'ergothérapeutes, de maîtres spécialisés, noyer les enseignants sous des enquêtes, des réformes, des plans de remédiation...

    On ne fait que s'attaquer aux effets avec toujours plus de moyens, tout en délaissant les causes évidentes du problème. C'est exaspérant!

    Oui, l'enfance est en souffrance.

    Maslow, un sociologue réputé, a expliqué que les besoins premiers d'une personne sont les besoins physiologiques: se nourrir, avoir un toit, dormir, respirer...

    Il explique ensuite que le besoin qui suit immédiatement est le besoin de sécurité: sécurité physique, naturellement, mais également besoin de sécurité affective, psychologique.

    Dans notre société, c'est bien là que le bât blesse. Beaucoup d'enfants n'ont pas la sécurité affective nécessaire à une éducation épanouissante.

    En vingt ans, le taux de divorces en France a doublé, passant d'un peu plus de 20% en 1980 à plus de 40% en 2003, selon une étude de l'INED parue en avril 2006.

    Certains veulent nous faire croire que cette évolution serait positive, car elle démontrerait une plus grande liberté individuelle. On nous présente cela comme un «progrès sociétal». A Paris, on peut même voir des affiches vantant « le premier site de rencontres extraconjugales pensé par les femmes ». Dans de nombreuses émissions, on nous a vanté les bienfaits de la famille recomposée, tellement 'nouvelle', tellement 'formidable', tellement 'moderne'.

    Pourtant: qui se pose sérieusement la question des conséquences sur les enfants?

    Quel psychologue aujourd'hui niera que l'enfant souffre de la séparation de ses parents? Je ne parle pas d'une souffrance passagère. Je parle d'un traumatisme profond, marquant, stigmatisant.

    Je me souviens de cette petite fille, en classe de maternelle, qui était pleine de vie et que je vis s'éteindre jour après jour, jusqu'à ce qu'elle me raconte que ses parents se séparaient. Sa maman se voulait rassurante: « vous savez, elle va bien, on lui a bien expliqué tout ce qui se passait. »

    Mais madame, s'il suffisait de tout expliquer aux enfants pour qu'ils acceptent, nous n'aurions plus aucun problème dans nos écoles, ni ailleurs!

    L'enfant a mal à sa famille.

    Ce que les adultes ont gagné en liberté, n'est-ce pas ce que les enfants ont perdu en sérénité, en sécurité? Les enfants sont-ils donc devenus la variable d'ajustement des désirs des adultes?

    Est-ce pour rien que la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France, rappelle en son article 7.1: « L'enfant a [...] dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ».

    Comment ne pas faire le lien entre cet éclatement du couple et donc de la famille, et la détresse croissante des enfants?

    C'est ce qu'exprimait il y a quelques années, une équipe de chercheurs sur la question de la petite enfance, qui, au cours d'une conférence, nous faisaient part, presqu'en s'excusant, de leurs conclusions: « pour l'enfant, ce qui est idéal, c'est d'être élevé par un homme et une femme, si possible qui soient son père et sa mère. Encore mieux: géniteur et génitrice. Plus encore: qui s'aiment. Nec plus ultra: qui s'aiment dans la durée. »

    Notre société n'est pas, n'est plus cohérente: elle ne met plus en avant l'éducation de l'enfant, mais le bonheur des adultes. Or, une société qui ne protège pas l'enfant, qui ne l'éduque pas dans un cadre sécurisant, cohérent, est une société finie.

    Car les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain, et ce qui n'est pas donné aujourd'hui, qui le donnera demain?

    Notre société est en mal de cohérence

    Il n'y a pas d'éducation possible sans recherche de cohérence dans l'environnement de l'enfant: parents, école, société sont trois dimensions de l'éducation – avec des responsabilités diverses.

    Comment aujourd'hui éduquer un enfant quand le message de la famille est brouillé par l'environnement de la société?

    Comment éduquer à la pudeur quand s'affiche la nudité dans la rue? Comment éduquer à la sexualité et à l'amour, quand on sait que de plus en plus jeunes, les enfants – je dis bien les enfants – ont un accès quasi libre à la pornographie (à douze ans, plus de la moitié des enfants ont vu un film pornographique).

    Certains voudraient «libérer l'enfant du 'carcan familial'»; je cite M. Peillon: « Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d'arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. »

    Non, monsieur Peillon, la liberté ne vient pas d'un arrachement, mais au contraire, d'un enracinement patient, progressif, profond dans l'humanité. Et ce sont les parents qui sont les premiers et principaux éducateurs en humanité. Rien, ni personne, ne saurait les remplacer, car ce sont les parents qui sont au quotidien aux côtés de leurs enfants !

    L'éducation est un art, au sens «d'artisanat»...

    L'art de voir en l'enfant qui est devant vous, l'adulte de demain et de donner ainsi sens et cohérence à sa vie.

    L'art de s'inscrire dans la durée: on n'éduque pas avec un plan à deux ou trois ans.

    L'art de transmettre: encore faut-il avoir quelque chose à transmettre.

    L'art de poser les limites, de les faire respecter, tout en les repoussant un peu plus chaque fois que l'enfant gagne en liberté et en responsabilité.

    L'art de permettre à l'enfant de faire germer, puis croître les talents qui sont en lui.

    L'art de l'ouvrir sur la complexité du monde et de le rendre acteur de ce monde.

    L'art de le rendre autonome, libre, responsable, adulte.

    L'art de faire aimer l'effort et de lui donner du sens.

    Il ne suffit pas de « donner des ailes », il faut aussi apprendre à voler.

    Rendons l'enfance aux enfants!

    La souffrance de l'enfant est souvent silencieuse, car l'enfant a une capacité phénoménale à « encaisser ».

    C'est notre responsabilité d'adultes, de parents, d'éducateurs, de prendre résolument en mains cette grave question de l'éducation.

    Ensemble, redonnons une enfance aux enfants.

    Jérôme Brunet, Président de l'Appel des professionnels de l'enfance

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  • Commentaires

    1
    Nicole-Madeleine
    Vendredi 18 Octobre 2013 à 11:47

    Les enfants ne vont pas bien parce que les adultes ne vont pas bien, et comme j'ai plus de 60 ans je suis de ceux et celles qui ont élevés ces adultes qui vont mal. Oh, je pourrais remonter plus loin, à la petite fille de 9 ans qui souhaitait mourir .... seulement en 1960, il n'y avait pas de psychologues scolaires et les enseignants n'ont jamais rien su voir : j'étais bonne élève et mes parents étaient instituteurs. La différence, c'est qu'il n'y avait pas de télé et que je ne savais pas comment passer à l'acte, il est vrai que je vivais dans un milieu rigide et sans espérance.

    L'enfance n'était pas toujours heureuse dans le passé, d'ailleurs, la littérature en garde des témoignages. 

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