• Les contextes des idéologies issues des études sur le genre

    L'article qui suit a servi d'introduction à une conférence-débat sur le thème du livre "Masculin et/ou féminin : peut-on choisir ?". Elle a été écrite par Eric LEMAÎTRE.

     

    Le livre co-écrit avec Alain LEDAIN s’inscrit dans un contexte bien particulier qui est celui de la déconstruction de l’être humain tel qu’il est, la déconstruction d’une idée anthropologique fondée sur la différence et les complémentarités des hommes et des femmes qui sont aussi semblables et égaux par nature.

    Si la société postmoderne marquée par l’éviction de la transcendance a un effet accélérateur sur la promotion des idéologies autour du genre, notons que cette déconstruction est un phénomène bien plus ancien que Tocqueville relatait déjà dans ses écrits.

    Le genre, qui dans ses extrêmes prône la plasticité de l’identité, son interchangeabilité, conduit à une forme de confusion, de tohu-bohu des repères Hommes et Femmes dans leurs rôles et leurs singularités.

    Cette déconstruction n’est pas selon nous, la résultante d’une doctrine savamment orchestrée qui nous serait imposée; elle est en réalité l’émanation de plusieurs constats, constats qui ont certainement façonné une nouvelle anthropologie et une idéologie qui participent de cette déconstruction. Quels sont alors ces constats ?

     L’uniformisation

     L’égalitarisme

     La liberté d’être indéterminée

     Le relativisme

     L’obsession de rester libres  

     Le consumérisme des biens à celui de la marchandisation des corps

     La désincarnation du réel

     L’éviction de la transcendance

    Premier constat : L’uniformisation.

    La mondialisation qui est un processus économique d’universalisation des échanges s’est accompagnée d’une uniformisation des modes de consommation, des comportements culturels. Les métissages, les brassages qui sont en soi positifs et sont source de fécondité ont aussi subi la dictature d’un modèle de consommation qui au fil de matraquages promotionnels, publicitaires, fabriquent nos perceptions et représentations, conditionnant des attitudes, des pratiques de consommation.

    Cette uniformisation devient plus visible aujourd’hui et par capillarité façonne subrepticement, inexorablement le monde.

    Ce processus envahit toutes les sphères de la consommation et toutes les dimensions sociales, culturelles  de notre monde. 

    Avec cette uniformisation qui gagne le monde, il n’est pas étonnant que la lecture de la culture devienne alors plus globale, moins signifiante… Au fond il est à craindre à terme que l’indifférenciation  ne fabrique que des miroirs de semblables. 

    Une forme de conformisme social à laquelle participe la mondialisation, se dessine, glissant vers un narcissisme individuel, la volonté d’une promotion de l’individu, de son image.  Dans cette culture consumériste, ou l’on vante l’individu, il faut vanter  la prévalence du conformisme, effacer l’altérité. En me conformant à des modèles de consommation, lissés   je ne rencontre plus l’autre dans sa différence. Comme le rappelle Alain LEDAIN, s’inspirant de l’écrivain Philosophe Emmanuel Mounier  « Aucune communauté (nationale, associative, ecclésiale…) n'est possible dans un monde où il n'y a plus de prochain mais seulement des semblables qui ne se regardent pas. Chacun y vit dans une solitude et ignore la présence de l'autre : au plus appelle-t-il « ses amis » quelques doubles de lui-même, en qui il puisse se satisfaire et se rassurer. […]

    Dans ce processus de lissage, d’uniformisation qui n’est pas nouveau, nous passons comme le décrit le livre de la Genèse (premier livre de La Bible) du monde de Babel (la fameuse tour), une seule langue, une seule ville, un seul type de matériau (la brique) à celui de Babylone le monde uniforme des marchands de bonheur  qui atomise, formate ou pire lobotomise les esprits en fabriquant les illusions d’un paradis artificiel.

    Pour François Xavier Bellamy « l’uniformisation nous laisse imaginer que si tout est partout identique, notre liberté n’aurait plus alors de frontières », notre marche, nos déplacements ne seraient plus alors entravés, à rebours de l’image d’un monde fait de reliefs et de défis à relever, où la rencontre avec le prochain, et non son semblable, donne de la saveur aux rencontres.

    Quels que soient les convictions qui sont les nôtres, nos sensibilités culturelles, sociales, religieuses, politiques, etc. prenons conscience qu’il y a une forme d’emprise mondialiste, une forme d’universalisme d’un prêt-à-penser, d’un prêt à consommer aseptisé, qui nivelle les différences culturelles, lisse et codifie les comportements… 

    Second constat : L’égalitarisme

    L’égalitarisme, ce souci prégnant hier, de réparer les injustices, aujourd’hui de corriger ce que la nature a fait. 

    L’égalitarisme qui finit par dissoudre les cultures, arase les singularités, gomme les spécificités des identités qui caractérisent les êtres humains, jusqu’à nous dire finalement que la femme c’est n’importe quel homme. 

    Troisième constat : La liberté d’être indéterminé

    La Liberté d’être indéterminé (une vision ASEXUEE) est à rebours de l’altérité (vision sexuée). L’altérité qui est la condition de tout émerveillement. 

    Or pour François Xavier BELLAMY que je cite à nouveau "L'altérité est la condition de tout émerveillement, il faut donc que tout ne soit pas identique pour que mon attention, trouve de quoi s'étonner La liberté d’être indéterminée est le fantasme de notre civilisation d’aujourd’hui". C’est cette liberté d’indétermination qui va influer toute une conception de l’homme et sur laquelle s’articule le socle de l’idéologie du genre. 

    Quatrième constat : Le relativisme

    Pour les relativistes « il n'existe aucune vérité absolue ». Le relativisme c’est appeler bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, c’est confondre comme les hommes de Ninive au temps de Jonas, la droite de sa gauche.

    On peut même à l’instar de Benoît XVI évoquer « une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. » 

    Cinquième constat : L’obsession de rester libre

    A cette liberté d’indétermination de l’être humain, je relève une autre problématique : celle qui touche la dimension de toutes nos relations … Notre obsession de rester libre….. Cette obsession de liberté finit paradoxalement par nous murer (sur nos tablettes numériques), nous évitant alors d’entrer dans la relation incarnée…

    Nous vivons, je crois, une immense bizarrerie : notre monde court vers l’indifférenciation, l’uniformisation qui gomme les frontières mais atomise les relations, les solidarités, la rencontre du prochain (le syndrome de Babel, rassemblons-nous dans la même ville ou le même continent virtuel). Dans ce continent virtuel, nous sommes comme alors tentés de nous enfermer dans nos univers, à ne plus incarner une relation réelle, dans un monde réel qui est caractérisé par la rencontre du prochain, dans un face à face fécond…

    Sixième constat : Du consumérisme à la marchandisation du corps humain

    Nous l’observons, nous dérapons vers une société où le tout consumérisme dicte et soumet la nature à des impératifs économiques. 

    Ce dérapage de la dictature économique, nous en avons eu la récente illustration à travers la proposition de deux sociétés du numérique d’encourager leurs employées de congeler leurs ovocytes. J’imagine que beaucoup parmi vous ont pu être choqués par ce glissement de nos sociétés consuméristes vers la marchandisation de l’être humain. Alors que file l'horloge biologique, Facebook et Apple pourraient ainsi subventionner demain la congélation des cellules reproductrices de leurs employées, afin de rendre ces femmes finalement corvéables  à leurs métier et leur permettre de faire carrière. 

    Or c’est une boîte de pandore qui s’ouvre une nouvelle fois vers la commercialisation possible des ovocytes humains, en incitant les mères à le devenir le plus tard possible pour ne pas interrompre la belle carrière qui leur est promise et ce au nom de l’égalité femmes/hommes.

    Septième constat : la déprise sociale, le repli sur soi, la désincarnation du lien social.

    Etranges, n’est-ce pas justement ces mondes de la consommation  qui nous poussent à une forme de déprise sociale, à nous replier sur nous-mêmes en nous rendant addictifs d’une société de consommation de plus en plus éthérée et de plus en plus virtuelle. 

    Citant notre livre et Alain LEDAIN, "Nous vivons dans un monde  désincarné où les rapports entre individus se dématérialisent : Nous prenons l’habitude de communiquer via les SMS, les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) – et les auteurs de ce livre s’y incluent ! Parallèlement, nous perdons le contact avec la nature. En fait, nous sommes dans une époque de grand mépris pour les corps et l’homme se donne bien souvent des projets qui dénient le réel. Il convient pourtant de se réconcilier avec lui. Ainsi, l’Eglise a-t-elle cette mission de promouvoir le face à face. Elle doit ancrer l’homme dans la réalité et l’amener à fuir l’« hyper-connexion » et « l’hyper-virtualité » qui fatiguent les esprits."

    Nous entrons finalement dans un univers social désincarné, dont le projet social funeste est de nous libérer des stéréotypes culturels, une société qui s’ouvrira inévitablement à un technicisme appuyé par une idéologie progressiste qui croit nous affranchir des contingences de la nature.

    Dans ces contextes d’une société éloignée du réel, Jacques ATTALI fait valoir que nous nous séparerons à terme de la procréation. Nous entrons selon l’essayiste dans l’apologie de la liberté individuelle. 

    Toujours pour Jacques Attali, « nous allons inexorablement vers une humanité unisexe, sinon qu’une moitié aura des ovocytes et l’autre des spermatozoïdes, qu’ils mettront en commun pour faire naître des enfants, seul ou à plusieurs, sans relation physique, et sans même que nul ne les porte. Sans même que nul ne les conçoive si on se laisse aller au vertige du clonage ». Ce n’est ni plus ni moins que "le meilleur des mondes" décrit par Aldous Huxley. 

    Huitième constat : L’éviction de la transcendance

    Ce dernier constat est la négation de la transcendance, la promotion d’une religion laïciste,  « l’homme devient la mesure de toutes choses, plus rien ne peut mesurer l’homme… » ? L’homme débarrassé  de toute idée et toute référence à un Créateur auquel il aurait à rendre compte.

    Au nom d’une idéologie égalitariste, nous passons d’une conception anthropologique d’un homme et d’une femme semblables, différents mais aussi complémentaires vers une forme de société postmoderne transhumaniste qui veut réparer la conception sexuée. Accomplir enfin le fantasme de l’humanité qui non seulement prétend à l’indétermination mais aspire à se libérer de toutes les contingences imposées par la nature. 

    Pour conclure notre propos et rappelé par l’un de mes amis philosophe, citons ici le mythe de l’androgyne dans Le Banquet de Platon, mythe d’une humanité autosuffisante et rebelle que Zeus a puni en séparant les êtres humains originels en deux, pour diminuer leurs forces concurrençant celle des dieux. Nier la sexualité revient à nier sa propre insuffisance et rêver d’autosuffisance sur la base d’une liberté toute puissante en apparence, mais en réalité, impuissante parce que fantasmée et faisant l’économie du réel qu’elle nie plutôt que de s’y confronter. Se confronter au réel, c'est se confronter à ses propres limites, à ses propres insuffisances.

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