Alain LEDAIN - Partages, pensées, réflexions...
Les titres de plusieurs livres récents sont significatifs de notre période :
- « Le triomphe de la cupidité » écrit en 2010 par Joseph Stiglitz, l'un des économistes les plus influents et les plus écoutés au monde ;
- « La prospérité du vice » de Daniel Cohen, professeur à l'Ecole normale supérieure, vice-président de l'Ecole d'économie de Paris et éditorialiste associé au journal Le Monde ;
- « Confessions d’un banquier pourri » d’un auteur voulu resté anonyme. Et on le comprend ! Ce dernier n’hésite pas à se décrire comme un « parasite de la haute finance », à assumer d’être « pourri par l’esprit de lucre… gâté pourri ! »
« Le fait central des Temps modernes n'est pas que la Terre tourne autour du soleil, mais que l'argent court autour de la Terre. » Peter Sloterdijk (penseur allemand) L’actualité est marquée par une évidence : l’argent et la finance conduisent l’économie dans l’hypercapitalisme.
Dans son livre « Capitalisme et Christianisme » , Didier Long le décrit comme « un véritable culte du marché appliqué à toute l’existence humaine », « un système de croyance qui discrédite tout ce qui n’entre pas dans une logique du calcul et de l’intérêt », « le dernier totalitarisme qu’ait inventé le XXe siècle ».
C’est un totalitarisme car, loin de s’arrêter pas aux frontières de l’économique, il envahit tout : le politique, le social, la culture, l’école, la santé, l’espace social et amical entre autres et, nous allons y revenir, les religions. En fait l’hypercapitalisme est « un système religieux soucieux d’intégrer tout le monde réel dans une doctrine cohérente. »
Ainsi, "la notion économique de concurrence a pénétré la sphère privée, de sorte que le prochain est de plus en plus souvent perçu comme un concurrent." (Source : Les 7 thèses de ChristNet sur l'argent en Suisse)
Ainsi, tout est transformé en chiffres. Quant on ne parle plus que de quantités, de pourcentages et de statistiques, quand tout est mesuré, quantifié et évalué, sortons de l’obsession des chiffres en cultivant l’esprit de confiance, de gratuité et de risque, en développant l’écoute, la compassion, la générosité, l’honnêteté, la joie et par-dessus tout, en aimant sans compter. (Inspiré de Jean-Claude GUILLEBAUD. « La confusion des valeurs » Editions Desclée De Brouwer © 2009)
Dans les années qui suivent la crise de 1929, le penseur Emmanuel Mounier écrivait déjà : « L'importance exorbitante prise par le problème économique dans les préoccupations de tous est le signe d'une maladie sociale. L'économie a étouffé le reste de la société. »
Tout comme le communisme, il est un « matérialisme historique » c’est-à-dire qu’ « il ne croit pas que des phénomènes autres que le marché commandent l’histoire humaine et la conscience historique des hommes. »
Comment en est-on arrivé là ? Qui a créé ce système idolâtre ? La réponse de Didier Long interpelle : « Chacun de nous. Car l’hypercapitalisme supposait l’hyperconsommation. »
Il y a fort longtemps, au XIIIème siècle, l’économie prenait un essor sans précédent et bouleversait la société européenne. Le grand commerce s’éveillait, les activités bancaires, les transferts de fonds, le change et la vente à crédit apparaissaient. Difficile de ne pas comparer cette époque à la notre. Quoique...
Dans ce contexte, Saint François d’Assise rompit avec toute propriété pour ne rien avoir à faire avec le maniement de l’argent. Sans vouloir imposer son style de vie à l’ensemble de la société, il lança le mouvement franciscain pour servir de témoin et de ferment. Il permit de redresser certaines mentalités trop portées sur les richesses.
Pour servir de ferment, pour initier une contre-culture, il n’est pas nécessaire d’être nombreux. C’est ce que nous apprennent ces paraboles sur le Royaume de Dieu :
Matthieu 13 : 31-33 « 31 Il [Jésus] leur proposa une autre parabole, et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme a pris et semé dans son champ. 32 C'est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. 33 Il leur dit cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et mis dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit toute levée. »
Au XXIème siècle, on rencontre la position inverse de celle de François d'Assise : une partie de l’Eglise croit en l’ « évangile » de la prospérité ; un évangile bien en phase avec l’air du temps, un évangile qui vous promet une offrande au taux d’investissement garanti. « Donnez et vous deviendrez riches ! »
Oh, bien sûr, on vous présentera les choses beaucoup plus finement et, oserais-je l’écrire, plus bibliquement. C’est que les perversions sont souvent des dosages subtils de vérité et de mensonge !
La Bible affirme : « Sachez-le, celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » (2 Corinthiens 9 : 2) Or soyons clair, ce texte s’applique bien au domaine financier et je crois, l’ayant expérimenté, que Dieu bénit ceux qui sèment abondamment, c’est-à-dire ceux qui se montrent généreux.
Par ailleurs, si nous sommes généreux, c’est que Dieu L’est car Il nous communique Sa nature. De plus, il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Il n’est donc pas concevable de devenir calculateurs, de devenir des « spéculateurs spirituels » qui misent sur l’offrande comme d’autres misent sur les actions boursières.
Il n’est pas de dons qui soient utilitaires ou qui soient intéressés. Un don intéressé n’est pas un don mais un investissement.
Il arrive, je l’ai constaté, que l’on oublie la finalité de la générosité ou que cette finalité soit occultée. Parfois, l’avancement du Royaume de Dieu est évoqué sans que l’on en définisse la moindre action concrète.
Dans son élan oratoire, un prédicateur raconta une vision et finit par dire : « Il m’a vu administrer des millions. » Quelle surprise d’entendre des « amen » enthousiastes de ceux là même qui vivent avec de modestes revenus. J'ai pensé aux classes sociales défavorisées qui envahissent les stades de football et adulent des joueurs dont les rémunérations excessives sont de véritables plaies sociales. Pour la petite histoire, pas une fois, l’orateur n’a fait allusion aux pauvres… Administrer des millions : pourquoi et pour quoi faire ? Une question oubliée : la question qui, justement, évite de passer la ligne rouge de l’amour de l’argent.
Alors oui, selon la Bible, Dieu donne « afin que, possédant toujours en toutes choses de quoi satisfaire à tous vos besoins, vous ayez encore en abondance pour toute bonne œuvre. » On aurait tort de confondre besoins et envies ; on aurait tort d’oublier la finalité : être encore plus généreux pour grandir en justice. (2 Corinthiens 9 : 8-9)
Je crois que le vrai évangile est subversif, qu'il remet sans cesse en question. Ainsi, chaque fois que l’Eglise semble en phase avec son environnement, et nous avons vu que notre environnement est la financiarisation de la vie, je la soupçonne de « conformisme au monde présent », je regrette qu’elle n’ait rien à apporter.
Spiritualiser l’amour de l’argent, conditionner la bénédiction à ce qui est donné lors des offrandes, n’est-ce pas risquer de tomber dans les travers du « commerce des indulgences » ?
Dans notre temps, la radicalité de François d’Assise m’interpelle. De même, je suis interpelé par la culture du don développée par Chiara Lubich et contrepied de la culture de l’avoir. Mais la forme dévoyée de l'Evangile qui confond bénédiction et richesses m'exaspère.
J'aspire au développement d'une culture de l'Evangile qui soit prophétique pour notre génération en s'élevant contre l'envahissement totalitaire de l'argent et de l'hypercapitalisme.
Quatrième de couverture Né dans les années 80, l’hypercapitalisme s’écroule sous nos yeux. Enrichissant les riches et ne laissant aux pauvres que les miettes du festin, il fonctionnait sur un espoir d’hyperconsommation des classes moyennes. La vie à crédit devait financer la bulle. Le crack de 2008, brusque retour à la réalité, a brisé ce rêve. Il n’est pourtant pas inévitable que la « Civilisation du capitalisme » se termine dans le chaos. Cette civilisation a une histoire. Née du rêve d’égalité des citoyens d’Athènes, elle fusionne avec le christiannisme et apparaît concrètement dans les monastères au moyen âge. Ces World Companies seront les premières sociétés de production capitalistes. Au XIIIe siècle, les ordres mendiants nés avec les villes en pleine expansion, seront les premiers théoriciens de l’économie moderne, réfléchissant à la manière de mettre la richesse au service du bien commun. La révolution industrielle portée par l’ « esprit du capitalisme » de la Réforme, la liberté d’entreprendre et les Lumières poursuivra cet élan. L’idéal de liberté, d’égalité et de fraternité chrétienne est donc fondateur de la Civilisation du capitalisme. Sans le judéo-christianisme ces valeurs n’existeraient pas. A la lumière de cette histoire, la cupidité et le cynisme n’ont rien à voir avec l’hypercapitalisme. Il n’en est que la perversion. Si nous voulons sauver la démocratie et réinventer un capitalisme à visage humain, nous devons donc répondre à une seule question : « A quoi croyons nous ? ». La fraternité ou l’argent ?
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Quatrième de couverture Cet ouvrage présente les réalisations de l'économie de communion. Ce projet lancé par la fondatrice des Focolari, Chiara Lubich, au Brésil, s'est vite concrétisé sur tous les continents et entraîne désormais 750 entreprises dans un partage d'une partie de leurs bénéfices avec des personnes dans le besoin, dans un véritable esprit de communion. |