Alain LEDAIN - Partages, pensées, réflexions...
Il me semble, en effet, que dans la perspective catholique, Dieu est moins à l'origine de ce lien qu'il n'en est le garant. Les époux, en effet, se choisissent ou se reconnaissent mutuellement, et le sacrement de mariage (l'échange des consentements), dans la perspective catholique, est ce qui vient « sceller » divinement cette union. Dieu ne fait ici qu'entériner la décision des époux, qu'il unit l'un à l'autre par la médiation du sacrement. Suffit-il, néanmoins, pour qu'il y ait mariage « devant Dieu », que les époux se soient donnés mutuellement le sacrement de mariage ? A priori non, puisque l'Eglise catholique reconnaît que le mariage peut être « nul » si l'une des quatre conditions suivantes fait défaut :
1) Il faut que les époux soient libres dans leur engagement (ce qui exclut aussi bien une pression exercée de l'extérieur que l'aveuglement passionnel).
2) Il faut qu'ils se promettent fidélité (un mariage où l'un des deux n'aurait pas l'intention d'être fidèle au moment de sa promesse est « nul »).
3) Il faut que les époux soient ouverts à l'accueil de la vie et à l'éducation des enfants (un conjoint qui ne voudrait pas d'enfant pourrait voir annuler son mariage par la suite).
4) Il faut, enfin, que les époux aient consommés charnellement leur union.
Ma question est la suivante : ces conditions suffisent-elles pour estimer qu'il y a eu mariage « devant Dieu » ? Il me semble qu'il manque la principale condition : il faut que les époux aient reconnus que l'amour qu'ils se portent trouve bien en Dieu son origine et sa source, car c'est seulement ainsi que l'on pourra dire que c'est bien Dieu qui les a « unis », car ce qui fait la spécificité de la "nouvelle alliance", si l'on en croit l'Ecriture sainte, c'est qu'elle est "scellée" dans le coeur des croyants régénérés, ce que confirmerait un texte aussi décisif qu'Ezéchiel 36. C'est ce que St Paul appelle la "circoncision du coeur", qui est pour lui la véritable circoncision. Pourquoi ne pas penser alors que l'union des époux soit scellée dans le coeur de ceux-ci, un cœur qui a été incliné l'un vers l'autre par Dieu, qui les unit dans SON amour ? Soit. Mais on dira : ce critère est bien subjectif. Comment savoir que l'amour que je porte à mon conjoint vient de Dieu ? St Paul, en I Corinthiens 13, 4-7, donne des éléments intéressants pour « discerner » le véritable amour, celui qui trouve vraiment en Dieu sa source et son origine : il « prend patience », il « rend service », il « n'est pas jaloux », il ne « fanfaronne pas », il ne « s'enfle pas d'orgueil », il ne fait « rien d'inconvenant », il ne « s'irrite pas », il « n'entretient pas de rancune », il « trouve sa joie dans la vérité », il « pardonne tout », il « croit tout », il « espère tout », il « endure tout ». Vous allez me dire : peu de gens sont capables d'un tel amour ! Oui, sans doute, mais c'est ainsi que nous sommes appelés à aimer, et si notre cœur a bien été régénéré par le Saint-Esprit, nous devons être capables d'un tel amour... C'est cet amour là dont Paul dit « qu'il ne passera pas », et on comprend alors que le lien qui unit les époux qui s'aiment d'un tel amour puissent être indissoluble. Quel est alors le rôle du sacrement ? En réalité, les époux ne font que "consentir" (on parle d'ailleurs d'échange des consentements, plus que du "choix" d'un conjoint) à un amour qui les dépasse, et qui doit puiser en Dieu sa source et son origine, en sorte que le sacrement ne fait qu'objectiver, par un signe "visible", cette « alliance invisible » que Dieu a scellée dans le coeur des époux lorsqu'il les incline l'un vers l'autre. Il est certain qu'en faisant de l'amour divin que l'on porte à l'autre le « critère » de la validité du mariage devant Dieu, il y a un risque de subjectivisme à cette conception. Mais le sacrement n'est-il pas là, justement, pour "objectiver" une fois pour toute cette "alliance", de manière à libérer la subjectivité de ses "atermoiements" et des doutes qui pourraient toujours l'envahir après coup ? Encore faut-il que le sacrement (l'échange des consentements) ait pu correspondre à une "vraie réalité intérieure" au moment de l'engagement, car c'est seulement cette réalité invisible (le coeur incliné par Dieu vers son conjoint en vertu d'un amour divin qu'il faudrait pouvoir "discerner" durant la période des fiançailles, quitte à ce que celles-ci soient beaucoup plus longues...) qui seule peut donner sens à cet engagement lui-même... Mais lorsque cette réalité intérieure fait défaut chez l'un des conjoints, peut-on dire qu'il y a réellement eu mariage « devant Dieu » ?
Le sacrement est-il ce qui "scelle" cette unité, ou seulement ce qui "l'atteste" objectivement aux yeux de la communauté chrétienne ? Il y a là, pour moi, une vraie interrogation, qui se pose aussi au sujet du baptême puisque celui-ci n'est, pour nous baptistes, que le signe visible d'une réalité invisible : l'ensevelissement du corps dans l'eau est le "signe visible" de la régénération ou de la purification du coeur par la foi, qu'il représente sur un mode symbolique. C'est donc un signe d'appartenance au peuple de la nouvelle alliance, tout comme la circoncision, dans l'ancien testament, était un simple signe d'appartenance au "peuple élu", avec cette différence que la nouvelle alliance doit d'abord être scellée dans le coeur (par le don de la foi et la réception du Saint-Esprit, ce qui correspond à la nouvelle naissance) et non directement dans la chair.
Il est vrai que les protestants ne font pas du mariage un « sacrement », mais une institution purement « naturelle ». Sur ce point, je l'avoue, je me sens plus proche des catholiques (bien que la conception que j'ai des sacrements, signe visible d'une réalité invisible, soit clairement protestante) car si le mariage est une institution « purement naturelle » relevant de la grâce commune, et non une œuvre de la grâce que Dieu accomplit dans nos cœurs, cela ne revient-il pas alors à entériner les conséquences du péché dans l'institution elle-même (la « domination de l'homme sur la femme » et la « convoitise de la femme envers son mari », comme nous l'enseigne Genèse 3, 16) ? Ne faudrait-il pas faire du mariage un « sacrement », mais un sacrement qui ne tire son sens que de la « réalité invisible » dont il est le « signe visible » ? Les "noces de Cana", où Jésus remplit les outres de vin nouveau, semble aller dans ce sens : il faut une régénération du coeur humain (autrement dit, il faut le Saint-Esprit) pour que l'homme puisse être capable d'aimer véritablement comme nous le demande St Paul en I Corinthiens 13. Un mariage qui ne prendrait pas sa source en Dieu n'est-il pas dès lors voué à l'échec (il est vrai, je ne le conteste pas, que deux personnes athées peuvent cependant s'aimer d'un amour-agapè "divin" sans avoir pour autant reconnu Dieu comme étant à l'origine de cet amour : ils s'aiment cependant aussi d'un amour "divin" - agapé) et peut-on dire alors que les époux ont bien été "unis" par Dieu ? N'est-ce pas plutôt eux qui se sont alors unis eux-mêmes ? Ce sont juste des questions que je pose, libre à chacun de me faire des objections pour faire avancer la réflexion à ce sujet...
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