Alain LEDAIN - Partages, pensées, réflexions...
La conclusion que tu apportes allume un feu dans mon cœur, et je suis persuadé qu’il en est de même chez nos lecteurs. Sa dimension prophétique est indéniable. Elle interpelle, nous tend vers le royaume de Dieu dont nous aspirons qu’il se manifeste davantage au milieu de nous.
Toi et moi ne sommes pas impliqués dans un ministère pastoral. Beaucoup de ceux qui nous lisent non plus. Comment vis-tu personnellement ce rôle prophétique que tu décris ? Par quels engagements ?
J’ai cette chance d’être engagé dans une activité professionnelle qui m’autorise la diversité des contacts, de cultiver des réseaux, de vivre la relation aux autres dans différentes sphères sociales, associatives et mêmes ecclésiales. J’ai la chance de combiner également des activités d’enseignant et de directeur des études, de nourrir dans le cadre de mes activités la relation aux autres en prise directe avec la vie dans son acceptation la plus large. Dans ma vie professionnelle, je recueille la parole des gens, des habitants, des usagers. C’est le sens de mes activités que d’être le relais de cette parole. Ce relais, je l’ai appris tout simplement dans mon engagement ecclésial sans être pasteur. Tu vois mon cher Alain, l’activité d’écoute est à la portée de tous ; aimer son prochain, te fait également aimer l’habitant, te conduit à construire des réseaux, de tisser des liens. Je crois que tout chrétien doit pouvoir imaginer, dans le champ qui est le sien, de s’inscrire dans ces espaces où les rencontres se font. Je crois Alain, t’avoir déjà partagé mon investissement dans l’activité de jardins partagés, de mon investissement également dans le conseil de quartiers. Ce sont des lieux privilégiés de création de dialogues, d’échanges, des lieux où l’on nourrit la relation aux autres, où l’on rapproche les gens. Les jardins partagés nous ont permis d’entretenir un lieu totalement abandonné, de l’autogérer dans une dimension de convivialité avec une dizaine d’habitants que nous ne connaissions pas… (http://www.lunion.presse.fr/article/autres-actus/lilot-saint-gilles-un-coin-de-verdure-en-coeur-de-ville?page=0)
Mes engagements s’épanouissent également dans le cadre des EDC (les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) : là aussi ce sont des opportunités de rencontres avec d’autres. Ces relations, tu les fais bénéficier aux autres lorsque des demandes particulières te sont remontées ou peuvent se manifester.
Tiens par exemple : je connais le Président d’un OPH (Office Public de l’Habitat). Je lui remettrai le dossier d’une employée de notre bureau pour traiter une problématique particulière. Je ne rentre pas dans les détails, mais cette rencontre est essentielle pour permettre à cette personne d’identifier très vite une solution aux préoccupations qui sont les siennes…
Mettre en relation est, je crois, l’appel de tout chrétien. Le chrétien est au service de la réconciliation ; il doit désirer par-dessus tout le rapprochement des gens, la création de liens. Les rencontres servent à cela pour changer justement la ville, les représentations, les regards… Notre mission est une mission de témoignage. Et lorsque la confiance naît, que l’ouverture vient avec ceux que tu es amené à croiser dans ce quotidien, l’accès au témoignage devient possible, le partage de l’Evangile raisonne alors comme une évidence… Nous sommes en quelque sorte des agents de la relation, nous avons à agir comme des agents de liaison, nous sommes appelés à être dans le monde sans être pour autant de ce monde…
Le témoignage de ton engagement va être une source d’encouragement à s’impliquer très concrètement pour l’Evangile…
Toi et moi portons sur notre cœur l’Eglise. Nous l’aimons et, par notre travail de réflexion, nous désirons la servir. Nous ne la servons d’ailleurs pas qu’ainsi : Je te sais impliqué dans la pastorale de la Marne et moi-même, depuis plus de quinze ans, je sers l’Eglise par l’association ACTES 6 que je préside.
A nos frères, conducteurs d’une église locale, quelles pistes suggérer pour que leur assemblée entre communautairement dans un rôle prophétique ? Sur le fond, tu as déjà répondu à cette question. Mais quelle forme imagines-tu ?
Je crois que l’heure vient pour nos églises, de considérer que la voix prophétique de l’église ne saurait être portée seule : nous perdons de la lisibilité dans l’isolement spirituel. Il devient urgent de lancer des ponts et des passerelles entre nos différentes assemblées, nos différentes églises. La tâche pour l’église va devenir immense dans une période où la déconstruction spirituelle est engagée comme tu le sais. Alain, je crois que nous avons perdu de vue ce qu’est être disciple tout simplement. Nous avons omis de considérer que notre égo devait être crucifié avec Christ pour renaître dans une relation à l’autre.
Comme tu le vois, je reviens au mot relation. Dans un monde virtuel, il me parait fondamental de nous réinviter à travers la dimension festive et conviviale d’un repas. Il nous faut réinventer le face à face et le vivre à travers la rencontre fraternelle comme nous le faisons dans notre région (la Marne) à travers des pastorales, non pour se rejoindre de manière institutionnelle, mais pour nous rencontrer surtout en fraternité.
Tendre la main à l’autre peut devenir un geste révolutionnaire, mais combien peuvent s’excuser ou se dérober à cette rencontre vivifiante, indispensable si nous entendons que notre message soit audible. Je crois que l’heure est à la rencontre et au partage, à l’annonce à partir de simples réunions. Au fond, l’assemblée locale ne devient finalement Eglise avec un grand E que lorsqu’elle est dans la rencontre fraternelle, qu’elle le vit avec d’autres assemblées. L’unité doit être animée par l’Esprit Saint. Elle n’est possible que lorsque nous cessons d’être dans des postures dogmatiques, légalistes, libérales ou fondamentalistes et que nous acceptons tous de devenir, non des maîtres, mais des disciples marchant humblement derrière leur seul Maître, le Christ.
Tout doit commencer par la prière. Or nous sommes tous appelés à nous retrouver dans la prière…
Cela n’a rien d’utopique : C’est un changement radical d’attitude auquel nous sommes appelés pour rendre cette transformation possible et vivre le lien aux autres. Alors, dans ces conditions, nous serons le sel hors de la salière, le sel hors de nos murs… Oui, pour jouer ce rôle prophétique et communautairement, il nous faut nous ouvrir aux autres assemblées et églises dans leurs diversités. Ce n’est nullement un appel à l’œcuménisme, mais un appel au devoir de la rencontre, pour témoigner notre fraternité au monde en proclamant la Bonne Nouvelle de la Croix, valeur fondatrice de l’Eglise, et la Résurrection, source d’une espérance qui renverse toutes les montagnes, car la mort et le pêché ont été vaincus.
« Il devient urgent de lancer des ponts et des passerelles », as-tu affirmé. Je partage pleinement ce sentiment d’urgence. Crois-tu qu’il est partagé par d’autres ?
Je fais mienne cette citation d’un ami, Nathanaël Bechdolff : « Nous devrions apprendre comment Jésus a renoncé à Sa propre gloire, à son titre de Seigneur pour devenir cet agneau qui s'est livré pour nous.
Avons-nous cette même perspective que Jésus ? Sommes-nous les serviteurs de nos frères et sœurs ? Sommes-nous les témoins fidèles de l'amour de Jésus pour les autres ? Laissons-nous nos prérogatives, nos idées, nos certitudes (théologiques, bibliques...) au deuxième plan pour mettre au premier plan l'amour, l'amour du prochain ? »
Le renoncement aux prérogatives doit être l’objectif à poursuivre ; ce qui ne signifie pas l’abandon de convictions déposées dans nos cœurs et l’interdiction de les partager. Non ! Il s’agit en fait d’une transformation marquée par le désir de placer la relation au-dessus de tout, l’amour de la vérité (Jésus) et l’amour du prochain comme les deux vertus fondatrices de l’Eglise.
Ne perçois-tu pas, ici ou là, un abandon devant le ras de marée des transformations sociales, une forme de repli et de désespérance spirituelle ?
Ce que tu appelles repli, en sociologie nous l’appelons, déprise de la vie sociale.
Or vois-tu, le mot écologie a été dévoyé. Dans son essence première, le mot écologie vient du grec oikos c’est-à-dire maison, habitat. La notion de maison, d’habitat signifie implicitement une dimension de bien-être et d’interactions avec l’environnement. A contrario, le repli et la déprise sont une manifestation d’un délitement de la relation. Tu le sais, nous avons reçu ce commandement de devenir le sel de la terre, d’assaisonner : c’est notre mission. Donner de la saveur, c’est notre appel. En quelque sorte, nous sommes appelés à habiter, à vivre en interaction avec les uns et les autres, à aimer les gens de notre voisinage, à rentrer en interaction sans être intrusif mais à nous inscrire dans la volonté d’aller à la rencontre de l’autre. Comme disciples du Christ, nous avons à manifester le désir de tisser le lien avec l’habitant, la communauté des voisinages qui sont l’expression du prochain que Jésus nous décrit. La désespérance que tu décris est la résultante de l’indifférence à la souffrance. Dans les écritures (la Bible), le prophète Esaïe rappelle que « la terre chancelle comme un homme ivre, Elle vacille comme une cabane ; Son péché pèse sur elle, Elle tombe, et ne se relève plus. » (Es 24 : 20). Ailleurs dans les Ecritures, il nous est également rappelé que « la terre souffre les douleurs de l’enfantement ». Or Alain, nous pouvons comprendre ces textes comme un appel : nous avons et nous devons tendre la main. Cela commence par un simple bonjour, un sourire, un geste simple, une invitation à boire un café, une tasse de thé… L’écologie, c’est cela : Interagir avec l’autre pour lui manifester un regard. La souffrance vient en réalité, non de la confrontation, mais de l’évitement, du manque de regards. Elle résulte de nos incompréhensions et des blessures, parce qu’on ne se parle pas ou que l’on ne fait plus l’effort d’abandonner le moi et ses prérogatives orgueilleuses.
La modernité tardive fabrique des hommes fatigués. L’Evangile communique une espérance, remet des hommes debout. Nous, l’Eglise, devons redécouvrir l’espérance qui s’attache à notre appel…
Merci Eric pour le partage de ton expérience. A travers ton témoignage, chacun aura perçu que tu ne nous encourages pas à une pure démarche intellectuelle – même si nos pensées doivent parfois changer –. Dans le concret de nos vies, tu nous invites à vivre l’amour dans la vérité. Vaste programme… Levons-nous et marchons dans l’espérance et les yeux ouverts !